Cela n’aura échappé à personne, la formation du gouvernement fédéral a une fois encore été atypique. Amener autour de la table des partis pouvant rassembler un nombre suffisant de sièges a été extrêmement compliqué. Lorsque ce fût le cas, nous avons encore pu assister à une série de rebondissements laissant régulièrement le spectateur dans l’incompréhension.
Le résultat de ces négociations est un gouvernement qui cumule les particularités : il n’a pas de majorité dans le groupe linguistique néerlandophone, sept partis de courants idéologiques différents sont amenés à devoir s’entendre, et les deux partis ayant récolté le plus grand nombre de sièges au parlement en sont exclus. Pour défendre ses intérêts auprès du nouveau gouvernement, il sera donc de la plus grande importance de comprendre comment ce gouvernement opère et de suivre de près ses probables soubresauts.
Tout d’abord, ce gouvernement rassemble sept partis autour de la table, ce qui est inédit. Un des défis de ce gouvernement sera donc de veiller à ce que les réunions hebdomadaires du Premier et des Vice-Premiers Ministres (le Kern) donnent une image moins confuse que ce que l’on a pu voir durant la phase la plus intense de la pandémie avec le Superkern (le Kern élargi aux partis ayant donné les pouvoirs spéciaux au précédent gouvernement). L’accord de gouvernement (qui compte plus de 140 pages) sera un outil essentiel pour carder le cap. Ce qui n’exclura ni les divergences d’interprétation, ni le fait que le gouvernement devra certainement se pencher sur des questions qui ne sont pas couvertes par l’accord. Deux scénarios seront alors possibles. Soit le gouvernement décide de ne pas sortir de l’accord et se verra objecter qu’il manque d’ambitions ou de solutions. Soit il décide d’aller au-delà de l’accord et les marchandages en tous genre risquent de reprendre de plus belle. Ce fut d’ailleurs régulièrement le cas lors des précédents gouvernements, mais l’exercice sera encore plus ardu ici vu le nombre d’intervenants.
D’autre part, le rôle des présidents de parti – presque tous nouvellement élus et à la personnalité parfois flamboyante – fut étonnamment prédominant durant les négociations. Rarement auparavant les négociations ont autant dépendu d’eux. Il était généralement de coutume d’impliquer très vite dans les négociations les experts du parti et les personnalités susceptibles de devenir ministres. Cette fois-ci, ces personnes n’ont été réellement impliquées que durant la dernière ligne droite. Or aucun des présidents de parti ne jouera un rôle actif dans le gouvernement, ce qui renforcera d’autant plus la tentation pour eux de mener une surveillance active de l’action du gouvernement afin que leurs exigences propres soient bien respectées. Gardiens de l’accord de gouvernement, ils pourraient bien aussi jouer les déstabilisateurs s’ils estiment que les intérêts de leur parti ne sont plus garantis.
Vu ce contexte, identifier et prendre en compte la position de tous les partis de la coalition sera essentiel, dès lors que chaque parti est susceptible de mettre son véto à tout moment. Il sera également essentiel d’évaluer l’importance des différents dossiers pour chaque parti car les marchandages seront certainement nombreux. En effet, un parti n’acceptera une concession sur un dossier que si les autres partis font à leur tour des concessions par ailleurs. En outre, les Présidents de parti doivent rester sur nos radars vu leur volonté manifeste de rester impliqués dans la vie gouvernementale.
La composition des nouvelles équipes ministérielles doit également être attentivement suivie. Les partis verts vont recruter largement pour composer leurs cabinets, tout comme les socialistes qui iront puiser dans leurs centres d’étude respectifs et au sein des cabinets régionaux, initiant ainsi un carrousel de collaborateurs. À l’Open Vld et au CD&V, la plupart des conseillers resteront en place, alors qu’au MR beaucoup devront quitter leur poste vu le nombre plus restreint de Ministres réservé à ce parti… Tous ces nouveaux collaborateurs devront se frotter à de nouvelles compétences et seront sensibles à toute aide disponible pour les maitriser.
Au Parlement, par contre, c’est le retour de la discipline. Alors que la période écoulée a vu naitre des alliances inédites et donner lieu à un foisonnement d’initiatives, le jeu classique majorité – opposition va retrouver ses droits.